Maux par mots – Marie-Sophie Peytou
L'humeur du temps

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dimanche 1er mai 2016 Enfance Education
Le rehoming, vous connaissez ?

Le 12 avril dernier, un reportage sur France 5 évoquait cette pratique qui existe aux États Unis mais dont, je l’avoue, j’ignorais l’existence. (1)
Il s’agit de trouver une nouvelle famille pour des enfants adoptés dont les parents (adoptifs) ne veulent plus…Bref, un peu comme si on décidait de rapporter son enfant au service après vente : « satisfait ou remboursé », en quelque sorte, mais appliqué à des êtres humains. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous mais cela me donne froid dans le dos !
Au-delà de ce phénomène, que j’espère marginal, il me semble que le rehoming est le révélateur de quelque chose de plus profond qui touche au rapport à l’enfant dans notre société. Pour vous je me lance dans un exercice de décryptage:

Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, les enfants sont presque tous désirés et accueillis avec impatience, a fortiori quand ils se font attendre et n’arrivent pas aussi facilement qu’on le souhaiterait. De plus en plus, les enfants sont vus comme l’aboutissement d’une vie, ce qui lui donne tout son sens. Ils ont une énorme pression sur les épaules, car ils sont à la fois chargés d’exprimer l’amour de leurs parents (parfois, l’amour ne tient que grâce à eux !) et qu’en plus, les parents ont tendance à les voir un peu comme le prolongement d’eux-mêmes. Sans compter que dans l’adoption, il y a en plus la souffrance des parents de n’avoir pu enfanter, ce qui peut créer une pression supplémentaire. L’enfant peut avoir le sentiment qu’il est là pour guérir la souffrance de ses parents adoptifs.

Et pourtant, Le paradoxe de l’éducation réussie, c’est que « l’éducateur travaille à sa propre disparition ! » (2)
« Eduquer » combine le verbe « ducere », conduire, et l’adverbe ex, « hors de ». On le voit bien ici, il ne s’agit pas de garder son enfant pour soi, afin qu’il nous ressemble et flatte notre petite fierté personnelle : il s’agit de l’aider à être lui-même, même si ce n’est pas dont nous avons rêvé pour lui. C’est une chose difficile à accepter : l’accouchement d’un enfant, ce n’est pas juste quelques heures, c’est toute une vie, ou presque. Nos enfants sont appelés à nous quitter, à s’arracher à nous ; et si nous ne collaborons pas, ce sera d’autant plus violent pour eux de le faire (certains n’y parviennent pas d’ailleurs).
Lorsque notre bambin de trois ans nous regarde d’un air de défi en disant « non ! », lorsque notre ado nous crie « C’est ma vie et pas la tienne », ils nous rappellent cette évidence douloureuse : un jour, ils n’auront plus besoin de nous ! Et la preuve que nous les aurons bien éduqués, c’est justement qu’ils nous quitteront un jour ! Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il faille renoncer à tout exercice d’autorité ; mais ces petites (ou grandes) crises sont là pour nous rappeler que nous ne possédons pas nos enfants, et cette expérience est parfois difficile à vivre.

Quel rapport avec le « rehoming » me direz-vous ? Et bien, je me suis simplement demandé si ce phénomène ne vient pas d’une expérience toute simple que tout parent doit faire un jour : découvrir que son enfant est différent du projet qu’on a sur lui, qu’il est une personne à part entière, et que ses tentatives maladroites pour s’affirmer sont les prémices de sa liberté future d’adulte. Je ne serais d’ailleurs pas surprise que les pics d’abandon se situent vers 2 ans et demi/trois ans et à l’adolescence, c'est-à-dire à cette période où l’enfant cherche à s’affirmer en tant qu’individu autonome.

Alors, tenez-bon : si vous avez l’impression que vos enfants ne ressemblent absolument pas à ce que vous imaginiez, c’est bon signe, c’est la preuve que vous êtes de bons parents puisque vous leur permettez d’être eux-mêmes.

1 Vous pouvez le voir en intégralité sur Youtube, en tapant "Rehoming"
2 Selon l’heureuse formule de Yannick Bonnet (Les 9 fondamentaux de l’éducation)
 
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