Maux par mots – Marie-Sophie Peytou
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dimanche 22 mars 2020 Films
Les délices de Tokyo
Naomi Kawase

« Je suis certaine que tout le monde se demande un jour si sa vie a un sens.
Pour ce qui est de la réponse... notre vie a un sens, je le sais parfaitement aujourd'hui.
Bien entendu, cela ne résout pas pour autant les problèmes auxquels nous sommes confrontés, on peut parfois avoir l'impression que la vie, c'est une suite de souffrances. »(1)


Puisque nous avons tous un peu plus de temps devant nous, et pour éviter de passer trop d'heures sur des médias anxiogènes, je vous propose de voir-ou revoir- un film magnifique qui incite à la contemplation et à la réflexion. Précisons que ce n’est pas un film d’action, avec des cascades et des rebondissements, mais ce n’est pas non plus un film « intello », incompréhensible pour les non-initiés. Si je vous le propose ce n'est pas seulement parce que certains personnages ont vécu ce que nous subissons aujourd’hui, le confinement et la privation de relations sociales, mais parce qu'il offre un regard plein d'espérance sur la vie

« Les délices de Tokyo » raconte le destin croisé de trois personnages, une vieille dame, Tokue, un homme dans sa maturité, Sentaro, et une adolescente pleine de fraîcheur, Wakana. Chacun, à sa façon, a vécu ou vit encore un drame dans son existence, et l’on pourrait dire, un peu rapidement, que leur vie est ratée, au moins pour la vieille dame, ou en tout cas bien mal commencée pour les deux autres. C’est le métier de l’homme qui va susciter leur rencontre : il tient une petite boutique de dorayakis, une délicieuse spécialité de crêpes fourrées à la confiture de haricots rouges !
Je ne souhaite pas vous raconter toute l’histoire, afin que vous puissiez déguster vous-même le film, mais je voulais en dégager quelques idées qui peuvent avoir du sens aujourd’hui.



Le film incite à avoir un autre regard sur le temps qui passe et les prétendues urgences qui nous font trépigner sans cesse. Ainsi, Sentaro passe de longs moments à regarder la fabrication de la pâte Han, la fameuse pâte aux haricots confits ; il apprend à se soumettre à un certain nombre de lois de la nature : impossible de préparer cette « confiture » à la cocote minute. Elle réclame de la patience et un vrai savoir faire. Il se met aussi à prendre conscience du rythme des saisons, lui qui marchait en trainant les pieds, sans lever les yeux au ciel. Cela lui permet de découvrir que la joie est faite de choses très simples, cueillies à chaque instant. Les images donnent à goûter des sensations multiples : couleurs, bruits, parfums et arômes (et oui, il me semble avoir senti l’odeur du caramel !) et même saveur subtile de ces petits beignets, que l’on rêve de croquer avant la fin du film.


« La pointe de sel dans la saveur sucrée était pareille à une fleur aquatique flottant au fil du courant. »

Ainsi, Sentaro change de posture au fur et à mesure que le film avance, de façon presque imperceptible ; son attitude intérieure modifie son regard sur la vie et sa relation avec les autres. Lui qui ne souriait jamais, il reprend goût (au sens propre du terme) à l’existence. Cette leçon de vie lui est donnée par Tokue, cette vieille femme toute petite, absolument insignifiante, de ces êtres que l’on ne remarque pas et que l’on qualifierait d’inutiles dans notre société utilitariste et performante.


Le second point de ce film est une méditation sur le sens de la vie, et il rejoint de façon étonnante la réflexion de Viktor Frankl (2), en particulier sur la différence entre la réussite et l’accomplissement. On pourrait presque envisager ce film comme l’illustration parfaite de la logothérapie ! Chacun à leur manière, les personnages découvrent que ce qui donne sens à la vie, ce ne sont pas les succès obtenus ou la réalisation de tous ses projets. La période que nous vivons en ce moment nous permet de la toucher cruellement du doigt. Ce qui donne sens à la vie, c’est de concrétiser des valeurs : valeur de création, avec la fabrication de ces petits beignets succulents ou la transmission d’un savoir faire, valeur de vécu, avec l’amitié partagée, le souci de l’autre et la contemplation de la beauté, et enfin valeur d’attitude, lorsque la vie impose des situations non choisie et que l’on parvient malgré tout à mener une vie pleine de sens ! le dernière lettre de Tokue en est un émouvant témoignage.

« J’ai toujours fait des gâteaux. Parce que sinon, la vie était trop dure. Faire des gâteaux, c’était un défi, et un combat. »

Je vous souhaite de passer deux heures savoureuses, en oubliant un peu l’atmosphère ambiante. Mais ces deux heures pourraient bien vous donner quelques clés pour la situation présente !


« Alors n'ayons pas peur d'avancer Sentaro. Dans la vie aussi, il y a des changements de saison »


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Pour voir la bande annonce: https://youtu.be/k_ySsqUptJs

1 Les citations en italique sont extraites du livre Les délices de Tokyo de Durian Sukegawa (Livre de Poche)
2 Pour en savoir plus sur Viktor Frankl, voir http://mauxparmots.free.fr/logotherapie.php#ancre_2

 
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